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Le 15-10-2015 à 15:10

« Pour des millions de travailleurs dans le monde, l’OIT reste le seul bouclier face à la loi de la jungle »

Par David Eloy

Entre 1999 et 2013, Bernard Thibault a présidé aux destinées de la CGT dont il fut le secrétaire général. Celui qui a commencé son parcours comme cheminot à la SNCF poursuit aujourd’hui son engagement syndical à l’Organisation internationale du travail (OIT), où il siège comme administrateur au nom du groupe des travailleurs. Il revient pour nous sur les tensions qui ont récemment secoué l’organisation et les menaces qui pèsent sur elle.

Le 25 février 2015, l’Organisation internationale du travail (OIT) est sortie d’une crise qui avait bloqué son fonctionnement pendant trois ans. En cause : la remise en question du droit de grève par les organisations patronales. Pourriez-vous revenir sur ce conflit ?

Cette interview est parue dans le numéro 43 d’Altermondes

Bernard Thibault : L’OIT est née après la Première guerre mondiale sur un constat simple : la guerre trouve ses origines dans la précarité sociale et la misère. Les nations s’étaient alors accordées pour élaborer un corpus de droit mondial pour les travailleurs, dans lequel on trouve des textes  fondamentaux sur la liberté syndicale et le droit de grève. Créée un peu plus tard, la Commission des experts pour l’application des conventions et recommandations est un comité chargé d’examiner la mise en oeuvre des normes par les États et d’émettre des avis. Les États peuvent être ainsi mis au banc des accusés pour leurs infractions. Or, à compter de 2012, les organisations patronales ont contesté le fait que ces experts puissent reconnaître le droit de grève dans des pays, où la constitution ne le prévoit pas.

Dans quels pays le droit de grève n’est-il pas reconnu ?

B.T. : Dans une centaine de pays, le droit de grève est reconnu, que ce soit par la constitution ou par un texte législatif de portée nationale. Dans une cinquantaine d’autres, les choses ne sont pas formalisées mais la pratique laisse l’exercice du droit de grève effectif. C’est le cas des États-Unis, qui n’ont toujours pas ratifié la Convention 87. Et, dans une cinquantaine de pays, comme l’Arabie saoudite, la Corée du Nord ou le Qatar, il est tout simplement interdit. Il faut aussi souligner que même là où il est reconnu, le droit de grève peut faire l’objet de restrictions. En Allemagne, la grève doit avoir un caractère professionnel. Impossible de mener une grève dite politique pour remettre en cause l’élaboration du budget par le parlement.

Explorez cette carte sonore interactive consacrée à la liberté syndicale en Europe. Elle a été réalisée à l’occasion du congrès de la Confédération Européenne des Syndicats à Paris, fin septembre
Par Christophe Trehet  et Andrea Paracchini
Quel a été l’élément déclencheur de la crise en 2012 ?

B.T. : Une frange des organisations patronales ne veut tout simplement plus entendre parler d’un code du travail à l’échelle mondiale. Or, il est d’autant plus crucial que la situation ne cesse de se dégrader dans le monde du travail. On dénombre aujourd’hui 215 millions de chômeurs. 1 travailleur sur 2 n’a pas de contrat de travail. 1 sur 4 seulement est dans une relation stable avec un employeur. Chez nous, on dirait en CDI. 21 millions de personnes subissent le travail forcé. On recense jusqu’à 168 millions d’enfants au travail. 23 millions de travailleurs décèdent, chaque année, de maladies ou d’accidents liés au travail. Dans une période où il faudrait élever le niveau d’exigence dans le respect des normes, le patronat prend une direction opposée. Il lance une offensive au nom de la compétitivité économique et va jusqu’à faire des droits fondamentaux comme la liberté syndicale une monnaie d’échange.

Qu’entendez-vous par une offensive du patronat ?

B.T. : L’OIT est une organisation tripartite – la seule – qui fonctionne sur la base du consensus entre États, organisations patronales et syndicats de travailleurs. Il n’y a certes pas de mécanisme de sanction mais, du point de vue diplomatique, un rapport, un avis, une décision, rendus par l’une des instances de l’organisation (le comité de la liberté syndicale ou la commission d’application des normes, par exemple) a un effet assez incitatif et/ou dissuasif sur les états fautifs. Or, à compter de 2012, à chaque fois que les cas étudiés impliquaient la question du droit de grève, quand bien même les faits étaient avérés, quand bien même il n’y avait aucune contestation possible, les employeurs refusaient de voter l’avis. Il n’y avait plus d’État mis en demeure pour les infractions relevant de la Convention 87 sur le droit de grève. Or, sans avis, il n’y a plus de rapport officiel. L’infraction n’existe plus.

Certains vous rétorqueront que ce droit n’est pas inscrit dans la convention.

B.T. : L’argument est fallacieux, mais c’est lui qui est au cœur de la polémique depuis 2012. Il faut avoir en tête que les employeurs participent de moins en moins aux négociations à l’OIT, où ils préfèrent envoyer leurs avocats. C’est comme si, dans une entreprise française, au moment d’une négociation salariale, l’employeur envoyait son avocat. Peut-on encore parler de dialogue social ? Sur le droit de grève, les avocats du patronat ont développé l’argument selon lequel la Convention 87 ne précise pas explicitement – et c’est un fait – que le droit de grève fait partie des libertés syndicales. Cette argutie ne résiste pas à l’examen de la pratique et de l’histoire. De tout temps, la grève a fait partie des moyens des syndicats. On peut même considérer qu’elle a existé, et existe encore dans certains pays, avant que ne soient reconnus les syndicats. Dans le bras de fer qui nous opposait, les organisations patronales ont, à un moment, reculé, acceptant de reconnaître le droit de grève, mais seulement dans les pays où la constitution le prévoit. Ce qui n’a aucun sens. Dans une organisation mondiale, l’objectif n’est pas de prendre acte des droits qui existent déjà au niveau national ; il est au contraire d’établir des règles de portée universelle. Après trois ans de blocage, les États, y compris ceux qui n’ont pas de législation sur le droit de grève, ont fini par faire une déclaration reconnaissant que la grève est un moyen légitime d’action pour les syndicats. C’était un échec pour le patronat.

Bernard ThibaultPourquoi les États n’ont-ils pas saisi plus tôt la Cour internationale de justice (CIJ) qui a compétence pour trancher ce genre de dissensus ?

B.T. : Les raisons sont multiples. Les États-Unis, par principe, ne reconnaissent pas les instances dans lesquelles ils n’ont pas de droit de veto. Certains États, dont des pays européens, considéraient qu’il fallait régler le problème en interne et que recourir à la CIJ revenait à reconnaître une forme d’impuissance de l’OIT. D’autres craignaient qu’une décision de la Cour puisse remettre en cause leur propre législation. Passé un certain temps, les États ont cependant fait savoir au patronat que s’ils n’étaient pas favorables au recours à la CIJ, la majorité d’entre eux reconnaissait que le droit de grève était inattaquable. S’est alors ouvert une fenêtre de négociations entre syndicats et patronat qui a mis un terme au blocage, mais qui ne résout rien. C’est une trêve. Le problème ressurgira.

Le problème est-il circonscrit à la contestation du droit de grève ?

B.T. : L’offensive est générale. Le positionnement de principe des employeurs – qui est relayé jusque dans les débats nationaux, comme par le Medef en France – consiste à dire qu’il faut moins de lois et plus de négociations collectives au sein des entreprises. Autrement dit, moins de règles applicables à tous et plus de droits à la carte. Or, dans la pratique, les salariés sont loin de pouvoir négocier dans leur entreprise une évolution de leurs propres droits. La traduction, au plan mondial, revient à dire qu’il faut arrêter de vouloir uniformiser le monde sur les questions sociales et accepter que nous soyons dans une économie ouverte et dérégulée.

Votre analyse fait-elle écho à la dégradation de la situation sociale en Europe ?

B.T. : Cela fait quelques années déjà qu’en Europe, pourtant réputée pour avoir des principes forts, on s’absout de règles dites fondamentales. Sous couvert de crise et de plan de redressement, les États s’affranchissent des normes de l’OIT. On l’a vu en Espagne, au Portugal et en Grèce. Les accords collectifs sont mis entre parenthèses, on n’applique plus les salaires minima ou certains chapitres du code du travail. Partout le discours sur la compétitivité économique revient sur les droits sociaux.

Cette situation ne révèle-t-elle pas aussi la faiblesse des syndicats de travailleurs ?

B.T. : Le mouvement syndical est en difficulté. Il faut le reconnaître. Il n’y a pas un seul pays dans le monde où il ne recule pas. Il souffre de la précarité de l’emploi et d’une réorganisation des modes de production, qui a déstabilisé son propre mode d’organisation. Historiquement, les syndicats sont nés dans les entreprises, où des milliers de travailleurs étaient sous les ordres d’un employeur. Aujourd’hui, dans les usines, les salariés sont embauchés par une multitude d’employeurs. Prenez une usine d’automobiles ! Il peut y avoir une trentaine d’employeurs différents ! Les solidarités ont été fortement déstabilisées. Le mouvement syndical a du mal à trouver des réponses pour organiser les salariés dans la configuration qui est la leur aujourd’hui, à savoir beaucoup plus précaires et plus mobiles. Sans compter les pouvoirs politiques, qui nient la négociation sociale comme facteur de démocratie.

Seuls les États sont redevables devant l’OIT. N’est-ce pas anachronique ?

B.T. : C’est un sujet d’actualité qui ouvre le débat sur les prérogatives de l’OIT. Avec d’autres, je milite pour qu’à l’occasion du centenaire de l’organisation, en 2019, on réfléchisse à de nouveaux outils pour lutter en faveur du progrès social. Les outils basés sur le consensus sont-ils suffisants pour faire évoluer le droit social ? Il serait judicieux que l’OIT, qui surveille l’attitude des États, puisse aussi surveiller l’attitude des entreprises, et singulièrement des multinationales qui agissent sur un rayon, par définition, international. D’autant que nombre d’entre elles sont beaucoup plus puissantes que certains États. Si on prend l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, on peut bien évidemment mettre en cause le gouvernement – il est de fait fautif sur un certain nombre de points – et lui demander de faire plus et mieux en matière de contrôle de conformité, de formation des fonctionnaires, de recrutement d’inspecteurs du travail… Mais dès lors qu’une multinationale se présentera pour faire travailler des ouvriers, il fermera les yeux et la corruption aidant, l’entreprise pourra faire ce qu’elle veut. Il faut donc que les commanditaires assument, eux aussi, leur part de responsabilité quant aux conditions dans lesquelles sont fabriqués les produits qu’ils achètent. En 2016, lors de la conférence annuelle de l’OIT, nous avons prévu d’avoir une première discussion sur la responsabilité des multinationales dans la chaîne de valeur.

Bernard ThibaultL’Europe va-t-elle s’aligner sur le moins-disant social pour rester compétitive, alors qu’elle devrait aider les autres continents à s’élever sur le plan social ? C’est aussi cela qui se joue en ce moment à l’OIT. Les gouvernements ont une lourde responsabilité dans ces évolutions.

B.T. : Parfaitement. Je vais prendre un exemple symptomatique. Le Qatar fait depuis quelques temps la une des médias du monde entier pour ses infractions aux droits fondamentaux. Les conditions faites aux travailleurs, qui sont pour l’essentiel des immigrés venus d’Asie, sont innommables. Et bien, figurez-vous que nous ne sommes pas parvenus à obtenir que l’OIT y envoie une mission d’enquête. Certains États ont préféré prendre pour argent comptant les déclarations du gouvernement qatari, qui affirmait vouloir faire des efforts. En réalité, beaucoup se sont opposés à la mission parce qu’ils ont bénéficié des largesses financières du Qatar pendant des années. Des pays se sont positionnés en fonction de leurs intérêts économiques et politiques. Cela porte un préjudice très grave à l’organisation elle-même. C’est ce qui me fait dire que c’est cette dernière qui est directement menacée.

Pour remporter la bataille, les organisations syndicales n’ont-elles pas intérêt à tisser des alliances plus larges ?

B.T. : La première étape consiste déjà à mieux organiser les solidarités entre salariés d’une même chaîne de valeur, du donneur d’ordres jusqu’aux sous-traitants. Il est important que les salariés d’Adidas connaissent les conditions dans lesquelles sont fabriqués les produits qu’ils vendent. Cela se pratique déjà dans le secteur automobile ou l’industrie. C’est plus compliqué dans le textile. Dans le cas du Rana Plaza, si les firmes ont accepté, la main sur le cœur, de mettre en place un fonds d’indemnisation, c’est parce qu’elles y ont été poussées par une opinion publique choquée par la catastrophe. Au-delà de l’entreprise, il y a des associations de consommateurs, de défense des enfants… Être capables, avec d’autres, de créer des mouvements d’information et d’influence qui peuvent contraindre des multinationales à changer de mode d’organisation fait partie des lignes d’action. Ce n’est pas forcement une tradition historique du mouvement syndical, mais certaines firmes seront plus sensibles à une campagne grand public qu’à une pression uniquement interne. Il faut donc conjuguer les deux.

Pointer les responsabilités est une chose, les faire assumer en est une autre. Ne faudrait-il pas aussi un système plus contraignant ?

B.T. : Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait qu’en matière de commerce international que les États réussissent à s’accorder sur des règles et à les faire respecter. Il faut discuter en termes de sanctions, car des règles sans sanction n’ont pas grand sens. Quand vous enfreignez le code de la route, vous êtes passible de sanction, même chose pour le code de l’urbanisme. Pour quelles raisons, dans le domaine social, l’application du droit resterait-elle du ressort du volontariat ? Dans une économie capitaliste, par définition, la logique d’entreprise, c’est de valoriser le capital, pas le social. Sinon, si c’était aussi naturel qu’on veut nous le faire croire, on n’aurait pas eu besoin d’inventer le syndicalisme et les luttes sociales. Évidemment, on est encore loin d’avoir une majorité de pays qui souhaitent aller dans ce sens. Mais il faut ouvrir le débat. Quel sens veut-on donner à la mondialisation de demain ? Une jungle désorganisée ou le progrès social ? Il ne faut pas oublier que pour des centaines de millions de travailleurs dans le monde, l’OIT reste le seul bouclier face à la loi de la jungle.

Crédits photo : Baptiste de Ville d’Avray

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